Le début de la bijouterie moderne, l’Art Nouveau !

Je souhaitais commencer ce blog par un article sur l’Art Nouveau. Cette période entre 1890 et1910 marque une révolution et le début de la bijouterie actuelle. En effet, avant cette époque, le métier n’avait pas beaucoup évolué en Europe depuis des siècles et cette période l’a complètement transformé, par l’apport des technologies (en particulier par l’électricité) et par l’apparition d’intermédiaires entre les clients et les artisans ; ces deux facteurs ont permis à des créateurs d’imaginer et à des artisans d’innover. Je vais essayer d’expliquer dans cet article le contexte historique, comment les bijoux de cette période se caractérisent et comment cette révolution a pu être possible. Pour finir j’expliquerai pourquoi cette période est si importante pour moi en tant que bijoutier.

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Le contexte historique

On parle souvent de l’Art Nouveau, entre 1890 et 1910, comme d’une révolution pour la bijouterie en Europe. Si cette révolution est bien réelle, c’est surtout dû au contexte économique, à l’ouverture du monde, au transfert des savoir-faire et à l’évolution des technologies qui sont propres à cette période.

Ces années marquent l’apogée de la domination des puissances européennes dans le monde et la mise en place de l’économie mondiale actuelle. Le Japon et le États-Unis commencent à se faire des places de puissances mondiales, la paix mondiale est assurée par l’Angleterre, des échanges économiques stables en découlent. En Europe, l’argent coule à flot chez les classes dominantes.

Bref, cette période permet aussi bien l’arrivée d’objets d’art des colonies d’Afrique, d’Asie que des pièces d’orfèvrerie en Europe et, pour tous, la découverte de nouvelles cultures, de langues et d’idées.

Et quand il y a de l’argent à dépenser et du temps, comme toujours chez les humains, c’est un peu la rivalité pour décorer sa nouvelle maison et se parer pour sortir… Dans tous les cas, ça a bien profité aux vendeurs de bijoux parisiens, et j’espère qu’à certains bijoutiers aussi !

Sans compter que, grâce au transport en bateaux à vapeur qui rendent les voyages plus sûrs et rapides, les clients riches du monde entier se bousculent dans les palais parisiens avec leurs demandes extravagantes et leur goût, comme les familles indiennes et leurs caisses de pierres précieuses qui ont stimulé les vendeurs et contraint les artisans à copier et évoluer.

Comment la période Art Nouveau se caractérise-t-elle ?

Tout d’abord, les bijoux Art Nouveau s’inspirent de la nature, du vivant, avec des motifs floraux, végétaux ou animaliers. Ils se caractérisent souvent par des formes sinueuses et asymétriques, inspirées de la morphologie humaine ou des éléments naturels.

Contrairement aux lignes droites et géométriques de l’Art Déco qui lui succédera, l’Art Nouveau se distingue par des courbes fluides et des formes presque « liquides », créant un effet de mouvement, de vie.

Les bijoux de cette période, dans la continuité du mouvement artistique du symbolisme, sont souvent porteurs de symboles personnels et mystiques avec un lyrisme tout particulier. Par exemple, des motifs comme le serpent, la libellule ou l’orchidée pouvaient symboliser la féminité, la renaissance ou la transformation.

Ça a donné une autre caractéristique de certains bijoux Art Nouveau : la représentation stylisée de la figure féminine. En effet, les visages de femmes, parfois avec des cheveux flottants ou dans des poses élégantes, étaient souvent intégrés dans les créations, parfois même en tant que motifs centraux. Ces figures étaient souvent idéalisées et associées à des éléments naturels, comme des fleurs, des plumes ou des papillons.

Je ne peux pas parler des bijoux Art Nouveau sans citer les créateurs de bijoux emblématiques de l’Art Nouveau comme René Lalique, Verver, Georges Fouquet, Victorien Auger, et Louis Comfort Tiffany aux États-Unis.

Comment cela a-t-il été possible ?

Cette recherche de fluidité et de nouvelle forme a été possible par les découvertes scientifiques, comme dans l’industrie chimique avec l’obtention de nouvelles couleurs et de textures d’émail, ce qui a permis l’utilisation de l’émail cloisonné cher à Lalique. Mais aussi par la découverte de nouveaux matériaux comme le platine. De plus, le succès de la perliculture par Kokichi Mikimoto et de son épouse au Japon en 1898, a permis l’utilisation de la perle. En outre, la modernisation des techniques de taille de pierre, ainsi que l’accessibilité des gisements de pierre, ont permis aux lapidaires d’innover en utilisant d’autres gemmes comme l’opale, le jade, l’ambre.

En résumé, la bijouterie de cette période Art Nouveau, boostée par des conditions idéales économiques et des découvertes technologiques et culturelles, se distingue par une recherche esthétique unique où la nature, la fluidité des formes et la féminité s’entrelacent. Elle marque un rejet du classicisme et de la rigueur, et recherche avant tout l’harmonie et l’émotion à travers la beauté des formes et des matériaux.

En quoi cette période m’intéresse-t-elle particulièrement en tant que bijoutier ?

Cette période m’intéresse parce qu’elle est le début de la bijouterie de ces 100 dernières années, elle est la bijouterie de mon apprentissage, la bijouterie que j’aime faire, complexe, difficile qui demande de l’habileté, de la dextérité, du temps et de la connaissance. Elle a du sens pour moi, homme du 20ème siècle!

Cette époque a permis le début d’un artisanat manuel renforcé par des connaissances apportées par des sciences comme la physique avec les optiques, l’électricité avec les moteurs, et la chimie avec les couleurs des émaux et la compréhension des propriétés physico-chimique des métaux et des alliages… Les artisans de cette époque ont su adopter la modernité sans perdre leur métier qui a été facilité, et non détruit, contrairement à tant d’autres métiers artisanaux de la révolution industrielle . Et cette période faste a pu se prolonger jusqu’à il y a quelques années, dans les années 2000, avec l’apparition d’une nouvelle révolution, le révolution numérique qui a complètement bouleversé le métier. En effet, la bijouterie a toujours été un artisanat d’élite, le bijoutier avait une longue formation, variée et irremplaçable. Cela a désormais changé : chaque spécialité peut être remplacée ou simplifiée par une machine peu chère (fabriquée à bas coût en Asie) à tel point que l’humain n’est plus qu’un rouage final, irremplaçable d’une chaîne de montage fordiste de l’industrie du luxe.

Les artisans de l’époque Art Nouveau, aidés par les créateurs des maisons parisiennes ont innové à tel point qu’aujourd’hui encore, cette période ainsi que celle qui lui succède (Art Déco) sont les périodes qui définissent la bijouterie française.

La question actuelle est : est ce que les technologies numériques vont entraîner le même foisonnement d’idées et d’innovation que l’Art Nouveau?

La question est ouverte !